M.A. Trojette : “La Cour des comptes continue de renforcer son équipe de scientifiques des données”


Quel est l’intérêt d’une DataSession pour la Cour des comptes ?

Cette initiative s’inscrit à la fois dans une histoire longue mais aussi dans une dynamique plus récente : dans l’ADN des juridictions financières, il y a l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 ; en 2014, la Cour des comptes a accueilli la conférence internationale sur le gouvernement ouvert organisée à Paris. Le Premier président Didier Migaud a consacré cette démarche d’ouverture des données en 2015 et il a encouragé la mise en place de démarches plus participatives. Cette DataSession s’intègre dans cette ouverture plus grande à la société que nous souhaitons. Nous voulons que magistrats, rapporteurs et citoyens travaillent ensemble sur des projets d’intérêt général.

Quelle différence entre une DataSession et un hackathon ?

Un hackathon représente souvent une débauche de moyens, sur deux jours, nuits comprises, puisque les participants logent sur place. Le tout avec une dimension compétitive car c’est un marathon mais c’est aussi un sprint. Les participants veulent relever des défis pour gagner des prix et les résultats doivent être facilement médiatisables.

Notre DataSession s’inscrit dans une démarche plus modeste avec une dimension beaucoup plus citoyenne car nous aspirons à former une communauté de réutilisateurs. Nous avons invité des associations, des citoyens, des journalistes, des développeurs, des datascientists… Et nous avons mis en ligne les travaux sous une licence libre (ODbL), qui impose aux réutilisateurs de partager les résultats de leur travail, dans un mouvement vraiment démocratique. Par exemple, une start-up a dû renoncer à participer à la DataSession quand elle a découvert cette licence libre : sa solution logicielle était propriétaire et était donc incompatible.

Comment se sont déroulés les travaux ?

Nous avions une centaine d’inscrits dont 70 se sont présentés vendredi soir. Ils ont travaillé jusqu’à 22h30. Cinquante sont revenus le lendemain. Nous, Cour des comptes, avions préparé quelques projets au cas où… que nous n’avons même pas eu à présenter car dix porteurs de projet ont développé des idées, parfois convergentes avec les nôtres. Les participants ont voté pour six projets avant de se mettre au travail.

Quels sont ces projets et quels apports fournissent-ils aux citoyens ?

Les résultats sont allés au-delà de nos espérances ! Le premier projet est une carte interactive des rapports produits par les chambres régionales des comptes. C’était une attente en interne mais personne ne se sentait capable ou n’avait eu le temps de la réaliser. Nous allons étudier l’opportunité de faire de cette carte une application sur notre site. Le deuxième projet est une carte de la bonne gestion publique dénommée « La France de mon argent public » (Frap), conçue par une équipe composée de magistrats et rapporteurs de la Cour, de développeurs, de designers, de datascientists et d’une datajournaliste des Décodeurs du Monde : elle propose de naviguer à travers les rapports des chambres régionales, selon une grille de lecture territoriale et thématique, tout en essayant de deviner, grâce à un algorithme sémantique, la tonalité du rapport. La France se couvre donc de pastilles de couleur selon la qualité inférée statistiquement de la gestion publique des administrations publiques locales.

Le troisième projet s’appelle Doctrine.fr. C’est un moteur de recherche indexant la jurisprudence. La DataSession a permis d’ajouter les données de jurisprudence administrative et financière de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes. Ce projet est extrêmement prometteur.

Jusqu’à quelle date remontent les données disponibles ?

Pour l’instant, nos données remontent jusqu’à 2006 pour la jurisprudence de la Cour et 2013 pour les rapports de la Cour et des chambres régionales et territoriales. Nous voulons accroître leur profondeur historique aussi loin que possible.

Enfin les trois derniers thèmes sont au stade de maquettes avancées. L’un concerne la manière dont nous présentons nos rapports et propose de créer des entrées "citation" et "infographie" afin de permettre aux citoyens d’accéder directement à l’information qui a retenu leur attention, plutôt que de passer par la voie actuelle du rapport en PDF. Nous pourrions ainsi intéresser davantage de lecteurs. Un autre projet, à vocation associative, prévoit d’impliquer les citoyens dans le suivi des recommandations formulées par la Cour et les chambres régionales des comptes. Le sixième et dernier projet s’attache au suivi citoyen des enjeux financiers locaux.

Solliciter les citoyens ne dénote-t-il pas un manque d’inventivité de la part de la Cour des comptes ?

Bien au contraire ! Nous conduisons, en interne, une démarche d’innovation et nous l’avons notamment incarnée lors d’un séminaire des jeunes magistrats en octobre 2015 à l’Ecole nationale supérieure de création industrielle. Certaines propositions de la DataSession convergent avec les propositions de ce séminaire. La Cour des comptes continue par ailleurs de renforcer son équipe de scientifiques des données (data scientists). Nous poursuivons aussi un effort continu pour rendre la présentation de nos rapports toujours plus attrayante, par exemple avec le recours à la vidéo, comme ce fut le cas pour le rapport de la Cour sur les services publics numériques de février 2016. Car la Cour ne peut pas préconiser aux administrations d’être plus modernes et efficientes sans s’engager elle-même résolument dans ce mouvement. Plusieurs rapports récents, sur les données de santé ou sur les transports intelligents, montrent que nous sommes plutôt à l’avant-garde y compris dans nos préconisations.

Au XXIe siècle, on ne peut pas avoir toutes les idées tout seul, comme l’a expliqué à l’occasion de cette DataSession le secrétaire général de la Cour, Jérôme Filippini. Notre objectif est bien de forger une alliance entre innovateurs internes et innovateurs externes.

*Magistrat à la Cour des comptes, Mohammed Adnène Trojette a remis en 2013 au Premier ministre un rapport sur l’ouverture des données publiques


Source : ADEC - Open data